- Oui Madame Shikijika. Le rendez-vous est confirmé pour mercredi de la semaine prochaine, à midi. Nous pourrons analyser ensemble les effets de votre nouvelle cure de légumes. Oui… Oui… Bien sûr, vous pourrez prendre également des tisanes et des compléments alimentaires, si jamais ça ne suffit pas pour votre tonus. Oui, évidemment. Bonne journée Madame Shikijika. Prenez soin de vous d’ici mercredi.

Pandora posait son téléphone mobile sur le bureau de son cabinet soupirant bruyamment après ce très, mais surtout trop, long appel avec une de ses fidèles clientes. Cette dame très âgée était très sympathique, très régulière et surtout très à l’écoute de la diététicienne. La vieille femme, très fortunée, ne savait pas quoi faire de son temps et passait ses journées entières dans différents instituts de médecine alternative pour connaiîre les dernières tendances et tenter de préserver une jeunesse éternelle. Gentille, mais fatigante et plutôt exigeante pour résumer. Se redressant pour étendre ses muscles, Pandora ouvre son carnet de rendez-vous pour voir ce qui lui reste à faire de sa journée. Outre quelques rendez-vous avec sa clientèle, elle pouvait lire qu’un entretien téléphonique était programmé en fin de journée avec le cabinet comptable. Une activité barbante au possible, infantilisante au goût de la diététicienne qui doit justifier de chaque petit sou qu’elle gagne et dépense à de parfaits inconnus. Bref, elle avait hâte d’arriver chez elle ce soir, retrouver sa petite Yami qui doit être à l’heure actuelle en train de se rouler dans les draps du lit.

Se perdant dans des pensées réconfortantes liées à son appartement, un bon bain chaud avec un grand verre de vin blanc, Yami jouant avec ses foulards et la promesse d’un repos agréable, le son de son ordinateur se coupe, la tirant de cette courte rêverie. La playlist qu’elle diffuse dans son cabinet à longueur de journée est terminée et elle doit en relancer une autre. Après un court moment de réflexion, elle sélectionne la playlist de musique traditionnelle du désert, l’exotisme est toujours apprécié par les clients. Son carnet repris en main, elle regarde le nom de son prochain client afin de préparer la consultation.

- La soirée caritative ?

Se parlant à elle-même, le souvenir lui revient soudainement comme dans un flash. Elle avait reçu un appel de la direction du centre Aphrodite pour la prévenir qu’une énorme soirée mondaine et caritative allait se passer d’ici quelques semaines. Son interlocutrice l’informait qu’elle n’était pas obligée de participer, mais qu’une participation serait toute à son avantage pour faire une promotion gratuite du cabinet de Pandora. Endettée pour l’acquisition de ce local onéreux dans ce grand centre, la diététicienne avait accepté sans trop savoir dans quoi elle s’engageait. Tout ce qu’elle savait pour le moment, c’est que la soirée est en l’honneur d’une association en faveur des soins pour les Pokémon ayant des maladies rares. Son prochain rendez-vous n’était donc pas un rendez-vous de clientèle, mais un échange avec un commercial. Ou quelqu’un du marketing ? Ou un communicant ? Elle ne se souvenait pas et elle n'avait pas pris le soin de noter le nom ou la fonction de la personne qui allait bientôt se présenter à sa porte.

La petite musique résonnait dans le bureau de la diététicienne. Cette dernière faisait quelques recherches sur l’alimentation Pokémon en attendant que son interlocuteur, concernant la soirée caritative, fasse son entrée. Elle aide les propriétaires de Pokémon à équilibrer leur alimentation et par ricochet, parfois celle de leurs petits compagnons. Néanmoins, elle doit bien admettre qu’il s’agit souvent de Pokémon simples et à l’alimentation évidente, carnivore, omnivore, éventuellement phytophage. La page qu’elle parcourait sur Internet lui offrait des découvertes surprenantes. Certains spécimens ne se nourrissent que par la lumière du jour, d’autres uniquement par des minéraux.  Elle espérait sincèrement ne pas tomber sur ce genre de cas, elle n’avait que peu de connaissances sur ces sujets. Au pire, elle orienterait le client vers un spécialiste du type concerné, cela doit bien exister. Pandora n’a pas le temps de poursuivre sa recherche et ses réflexions, qu’un bruit se fait entendre à l’entrée de son cabinet. Un homme à l’aspect élégant, puis très surprenant en regardant les détails, passe le pas de la porte.

- Oui, c’est bien ici. Je suis Madame Dheer. Enchantée de vous rencontrer Monsieur Irving.

Comme à son habitude dans les échanges commerciaux, Pandora lançait une main ferme et serrée à son interlocuteur pour le saluer. Dans ces situations, où l’on va certainement exiger certaines choses de sa part, elle préfère être considérée comme une coriace ferme qui ne se laissera pas mener à la baguette trop facilement. Le Centre Aphrodite a besoin de cette publicité, Pandora également, mais elle attend de voir ce que cet étrange homme peut lui proposer dans le cadre de cette soirée caritative. Après cette poignée de main musclée, elle toise l’homme du regard, comme pour le sonder sur ses intentions.

- La soirée caritative pour les Pokémon malades, je me souviens. Vous en avez vous-même, Monsieur Irving ? Des Pokémon, j’entends. Evidemment.

La question pouvait sembler badine pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas cette chère Pandora. Elle teste simplement son interlocuteur. Si ce dernier ne possède pas de Pokémon, elle voit mal comment ce dernier pourrait intervenir dans le cadre d’une soirée en l’honneur des Pokémon. L’élite est souvent déconnectée de la réalité, la diététicienne se demande bien où se situe ce Monsieur Irving. Ce dernier, comme une vaste majorité de la population locale, trouve la musique du désert appréciable, avec un certain air hautain qu’elle reconnaît bien pour l’avoir souvent rencontré au cours de sa vie.

- Musique traditionnelle du désert d’Anhour. Mes origines.

Sans plus de détails, Pandora retourne s’installer à son bureau. Elle ouvre un grand cahier et prépare ses affaires comme s’il s’agissait d’une consultation. Crayons, fluorescents, tout est rapidement prêt pour cette entrevue. Faisant un signe du menton vers la chaise faisant face à son bureau, elle invite le communicant à s’installer.

- Asseyez-vous face à moi. Que puis-je faire pour vous aider durant cette soirée caritative ? J’imagine que vous avez des directives de la part du Centre, mais également de la part d’Odyssey. Dites-moi tout.

Pas très chaleureuse pour le moment, cette Madame Dheer. Elle verra bien ce que ce Monsieur Irving lui réserve.

- Ils ne sont pas classiques ? C’est–à-dire ? Vous attisez ma curiosité, Monsieur Irving.

Pandora n’était pas réellement très curieuse de connaître la collection de Pokémon que cet homme pouvait avoir. C’était encore une façon de lire un peu plus dans le livre de cet homme un peu étrange. Dis-moi quels sont tes Pokémon, et je saurais qui tu es, pour résumer la stratégie de la diététicienne. De son côté, l’avantage d’avoir un compagnon tel que le Zigzaton, c’est que cela ne dévoile rien, c’est une présence simple, ni prétentieuse, ni puissante, aucun signe ostentatoire dans le fait de posséder sa petite Yami, elle était tranquille de ce côté si jamais la question lui était retournée. Une fois tout le monde bien installé, la discussion évolue vers l’apport de Pandora à la soirée caritative. Cet homme est drôlement culotté de venir la questionner ainsi. Pourquoi est-elle la meilleure ? Il ne va pas être déçu du voyage.

- Je suis la meilleure diététicienne et nutritionniste que vous pourrez rencontrer dans le quartier. C’est une simple évidence. Je suis la seule à confectionner mes propres tisanes, compléments alimentaires, également quelques remèdes. Mes diplômes en nutrition sont aux murs avec mes modules complémentaires ayurvédiques et de phytothérapie.

D’un signe de la main, elle pointe les emplacements de la preuve de sa réussite scolaire. Pandora est fière de ses différentes distinctions, enfant arrivée du désert dans la plus grande solitude, les chances de succès étaient faibles. Pour autant, une certaine force de caractère, mais surtout une force de travail, ont fait d’elle une professionnelle efficace et ambitieuse. De plus, elle est la seule à amener dans la balance des connaissances spécifiques grâce à ses origines.

- Je suis également la seule à posséder des connaissances ancestrales du désert d’Anhour. Un parfait mélange de connaissances académiques et traditionnelles en sommes.

Pandora laisse flotter un silence de quelques instants pour que son interlocuteur puisse comprendre les différents arguments. Elle n’a que faire de paraître vaniteuse, elle connaît sa valeur professionnelle, la bataille a été suffisamment difficile pour devenir propriétaire d’un cabinet au sein même du Centre Aphrodite pour ne pas se laisser compter.

- Et, sans même parler que je suis la dernière nutritionniste du Centre Aphrodite. Les soins esthétiques et les massages sont bien plus en vogue de nos jours. Néanmoins, dans ma palette de suggestions et de conseils, je peux orienter mes clients vers n’importe quels services que le Centre peut offrir. C’est presque illimité, vous le savez aussi bien que moi si vous venez régulièrement.

Maintenant que Pandora était satisfaite de sa petite promotion et de son discours argumentatif, elle pouvait questionner à son tour le communicant pour en savoir davantage sur la soirée caritative. Pour le moment, l’homme était resté assez évasif sur la question, attendant sans doute de voir ce que Pandora pouvait bien offrir à cette fameuse soirée en termes de contribution professionnelle.

- Alors, à votre tour maintenant. Quel est le programme de cette soirée caritative ? Ainsi que les objectifs à atteindre ? C’est la première fois que le Centre propose un tel événement, j’attends les instructions.

- Pas de pattes pour se déplacer ? Vous êtes bien secret pour quelqu’un qui souhaite vendre une soirée caritative en l’honneur des Pokémon, Monsieur Irving. C’est à vos risques et périls puisque je vais désormais vous imaginer à dos de Wailmer pour occuper votre temps libre. La scène serait plutôt cocasse.

Pandora ne peut empêcher son expression faciale de légèrement changer. Un sourcil qui s’anime et se lève, et la voici avec sa tête peu affable et peu aimable. Heureusement, elle plaisante et tente d’alléger quelque peu l’atmosphère avant d’enchaîner sur les différents arguments en sa faveur. Le communicant semble prendre de nombreuses notes en bon professionnel. Approuvant les dires de la nutritionniste par des hochements de tête, il l’écoute attentivement, c’est une certitude. De son côté, Pandora se demande bien ce qu’elle va pouvoir donner comme contribution au centre Aphrodite. Néanmoins, elle en sait désormais plus sur le rôle de son interlocuteur, son objectif sera de faire venir la clientèle riche et aisée à la soirée, puis de les faire casquer au maximum.

- Je peux tout à fait me fondre dans une soirée mondaine pour le centre Aphrodite. La plupart de mes clients sont de toute façon de cette classe sociale. On peut dire que cela devient une habitude de jouer au caméléon. Vous savez comment ça fonctionne, j’imagine.

Il était très facile d’imaginer le type de soirée que proposait ce Monsieur Irving. La soirée, très clichée, remplie d’une clientèle riche, arborant prestige social, culturel ou politique, parée des plus beaux bijoux et des plus belles étoffes pour l’occasion. Tout cela parsemé de paparazzi soi-disant caché un peu partout dans le Centre. Les invités n’auront donc que peu de choses à faire, manger les petits fours, boire le champagne, faire un gros chèque, et SURTOUT, faire mine d’être extrêmement surpris au moment de glisser ledit chèque dans une des urnes à dons. “Quoi ? Comment ? Un photographe, mais on m’avait dit que la soirée était privée. Oui, je fais un don pour l'association Pokémon, la situation est grave, vous savez, et j’aime trop aider mon prochain pour rester les bras croisés !”. Elle imaginait déjà un de ses clients, grand commercial dans une entreprise privée, tenir ce genre de propos feignant un air joyeux et intéressé. Enfin, Pandora ne va pas refaire le monde, et si cela peut contribuer à son commerce, elle saura jouer le jeu.

- Je crois deviner que nous tentons d’attirer une population plus jeune, plus ouverte sur son prochain, c’est bien cela ? Je veux dire, en plus de la clientèle habituelle vieillissante qui sera bien évidemment de la partie. Puisque c’est une soirée privée, est-ce que nous aurons des invitations, Monsieur Irving ?

Quitte à devoir se farcir toute une soirée au centre, en plus de ses heures de travail, la diététicienne misait sur le faible espoir de pouvoir inviter quelques connaissances. Elle pensait rapidement aux personnes possédant des Pokémon dans son entourage. Aleksia sera sans doute invitée d’office, Asling également, mais Skye et Reda ne seront même pas au courant d’un tel événement.

- Je serais à la hauteur de la charge, Monsieur Irving. Est-ce que nous aurons des stands individuels ou est-ce que nous devrons évoluer dans la foule au fur et à mesure de la soirée ?

La conversation allait bon train entre Pandora et Mortimer. L’ambiance s’était quelque peu réchauffée, sans pour autant être des plus conviviales. Chacun procédant à des petits traits d’humour plus ou moins réussis, mais également à quelques passes d’armes plus ou moins discrètes. De son côté, Pandora se disait que ce Monsieur Irving était un simple exécutant pour le compte d’Odyssey prioritairement, et dans un second temps pour celui du Centre Aphrodite. Clairement, il ne venait pas pour l'aider à se promouvoir elle, mais ça, ce n’était pas une surprise.

- Dans ce cas, il me faut trois invitations. Cela permettra de ramener du monde à cette petite soirée festive.

Le ton de la diététicienne ne laissait aucune ouverture pour une réponse contraire à cette affirmation. Elle réclamait sa part d’invitation, et il n’était pas question qu’on lui dise non. Après tout, ces voisins précaires pouvaient bien eux aussi profiter d’une soirée festive avec le gratin de ce monde. Mortimer poursuit avec une nouvelle piqûre pour Pandora. Cette dernière le voit désormais comme une sorte de méduse sociale. Plus on s’en approche, et plus on risque de se faire piquer par les tentacules sans même les voir venir. Intéressant comme comportement.

- Je vois. Vous pouvez me faire confiance sur les discussions à tenir. De toute façon, les personnes présentes ce soir-là voudront surtout être écoutées et appréciées, plus que de débattre sur de réels échanges. Comme je vous le disais, on apprend vite à s’adapter.

Le communicant s’élance ensuite vers une plus longue explication du rôle de Pandora et de ses collègues du Centre Aphrodite pour cette soirée. Rien de très complexe à faire, l’important étant de récolter l’argent des dons et parallèlement de proposer des conseils en rendez-vous. Tout cela, et Pandora l’avait bien compris, en toute discrétion et subtilité. La diététicienne ne manquait pas de clients, mais elle n’en était pas encore à refuser de la clientèle. Sans vraiment approuver cet élitisme, le fait d’avoir une clientèle sélectionnée sur le volet, lui permettrait de propulser sa carrière, et surtout ses tarifs.

- Parfait, Monsieur Irving. Pouvez-vous m’envoyer la liste des consultants du Centre qui vont également participer ? Cela m’aidera certainement à œuvrer en toute subtilité envers nos invités. Et ainsi, je pourrais également rappeler mon bon souvenir à mes collègues. L’entraide ne fait pas de mal.

De plus, Pandora allait pouvoir questionner les autres professionnels de santé du centre sur la technique commerciale à adopter lors de la soirée. Elle ne voudrait pas être la seule à venir avec des coupons papiers si tout le monde utilise des tablettes par exemple. D’ailleurs, elle termine de prendre quelques notes sur son cahier, lorsque Monsieur Irving se questionne sur les Pokémon de la diététicienne. Elle réfléchit quelques instants, parler de ses Pokémon, c’est un peu comme délivrer une information personnelle, chose que Pandora n’aime pas forcément faire dans le cadre professionnel. Enfin, elle savait pertinemment que l’histoire de Yami serait particulièrement vendeuse pour cette soirée caritative. Elle n’aimait pas cela, mais allait devoir l’utiliser pour sa propre réussite.

- Je possède une ratonne, une petite Zigzaton du nom de Yami. Je l’ai eu très malade, et elle va bien mieux désormais. Grâce à l’alimentation et à l'entraînement physique. Parfaite storytelling, n’est-ce pas ? J’ai également une chenille torche, une Pyronille. Mais elle est beaucoup plus caractérielle. J’aurais peur qu’elle crame le centre à la première contrariété… Si vous ameniez votre Wailmer, nous serions sauf, mais dans le cas contraire….

La petite bulle habituelle de sa messagerie Outlook apparaît dans le coin inférieur droit de son écran. Quelle rapidité de la part de ce Monsieur Irving qui vient de lui transférer la liste des professionnels du centre Aphrodite qui seront présents à la soirée caritative ! Pendant quelques instants, elle se permet de se tourner vers l’ordinateur et d’ouvrir le fichier en pièce-jointe. Après un rapide coup d'œil, elle constate que son nom apparaît bien et remonte ensuite la liste pour vérifier les volontaires. Évidemment, tout en haut du tableau se trouve le nom des directeurs, directeurs-adjoints, fondés de pouvoir et autres cadres de hauts-vols des différents services, ensuite, les docteurs les plus réputés, surtout ceux de chirurgie esthétique. Après eux et plus loin, les auxiliaires médicaux comme les masseurs-kinésithérapeutes, les podologues et ostéopathes. Enfin, dans les annexes, se trouve Pandora avec ses confrères et consoeurs inclassables dans cette liste. Avec elle, se trouve notamment sa nouvelle collègue herboriste. Les esthéticiennes et les coiffeuses ne sont apparemment pas assez “prestige” pour la soirée, aucune référence à ces métiers dans le listing.

- Les collègues n’ayant pas le statut de professionnel de santé ou de cadre sont-ils éjectés de la liste, Monsieur Mortimer ?

Arcade sourcilière arqué, Pandora n’est pas le moins du monde surprise par cette politique. Elle est juste, pour une énième fois, déçue de voir ses appréhensions être confirmées de la sorte. Malgré cela, elle note dans son carnet un rappel pour prendre un rendez-vous avec l’herboriste. Elles pourront réaliser un plan d’attaque à deux pour affronter les riches magnats de la soirée à venir. Monsieur Irving poursuit en rebondissant sur Yami et la potentielle plainte envers Odyssey que Pandora aurait pu porter au tribunal. Moment de flottement perdu dans le temps, la diététicienne ne sait plus trop sur quel pied danser avec cet homme surprenant. Il travaille bien pour Odyssey, non ?

- Oui, j’imagine. Enfin, elle est en bonne santé. C’est bien le principal, je vous rassure. La Pyronille est un peu instable psychologiquement, mais c’est la responsabilité de son ancien maître, je pense.

Ensuite, la situation semble devenir hors de contrôle pour Pandora. Mortimer se décide à faire la démonstration de ce qui pourrait être le chaperon de Ruby pendant la soirée. Une aqualimace. Là, maintenant, tout de suite, à l’instant. Tranquillement posé sur son bureau, arborant un grand sourire, exprimant la joie simple de ne plus être enfermé dans une Pokéball. Malaise chez la diététicienne qui ne peut décemment pas envoyer le Pokémon valser d’une grande claque dans la tête. La pauvre limace doit faire trente centimètres, et elle a beau être tout à fait mignonne, elle reste une limace baveuse et gluante.

- Je crains que Max soit un atout de mignonnerie indéniable. Hum, hum, néanmoins, Ruby a déjà affronté un Flamiaou sans faiblir, j’aurais la crainte qu’elle soit un peu trop agressive et prenne le dessus sur… sur votre limace aquatique.

Vite, Pandora doit trouver la parade rapide et efficace pour que Mortimer ramasse Max au plus vite. Après quelques secondes de réflexion, l’occasion semble se présenter avec une idée fulgurante.

- Monsieur Irving, je souhaite que vous me montriez les endroits clé du centre pour la soirée. Je ne suis pas une spécialiste aussi chevronnée que vous en termes de communication, j’ai besoin de vos conseils pour savoir quels seront, selon vous, les points stratégiques auxquels je devrais être.

Disant cela, elle se lève dans la foulée, comme pour impulser le mouvement sans laisser d’autres possibilités. Elle aura mis les formes, en tout cas.

Aucune réaction de Monsieur Irving lorsque Pandora le questionne au sujet des salariés du Centre Aphrodite. Un bref haussement des épaules, tout au plus, pour signifier qu’il s’en fichait royalement. L’empathie des communicants, un réel délice, n’est-ce pas ? En toute franchise, on ne peut pas dire que Pandora s’étouffe également par son empathie, elle est même souvent juge et critique, mais pour l’occasion, elle trouve quelqu’un d’encore pire qu’elle. Quelque part, c’est toujours agréable de trouver quelqu’un de pire que soit dans un défaut bien précis. Cela permet de relativiser. Pandora serait presque une sainte de penser aux pauvres esthéticiennes, coiffeuses et autres maquilleuses oubliées des grands de ce monde. Toute proportion gardée, évidemment.

En se levant pour quitter son bureau, Pandora a le temps de voir le premier mouvement de Mortimer. Celui qui consiste à ne pas ranger son Pokémon dans sa Pokéball comme la simple politesse aurait pu l’exiger, mais à le garder sur l’épaule d’un air nonchalant. L’aqualimace tient un sourire des plus naïfs sur le veston de son maître, il en serait presque mignon si il n’était pas légèrement baveux. En revanche, elle ne voit pas du tout le cadeau laissé par le propriétaire de Max. Elle était déjà à la porte, attendant que Mortimer se lève pour lui emboîter le pas et avancer dans les couloirs du Centre. Elle ne sait pas encore qu’une surprise (on va appeler cela ainsi, une surprise.) va l’attendre bien sagement jusqu’à son retour à son cabinet.

Marchant d’un pas décidé vers le hall du centre, Mortimer explique d’un air las, las, las, las, las, (et non pas, là, là, là, là, là, s’il vous plaît), les différentes stratégies à adopter pour la soirée selon les différents espaces. Le buffet sera situé par ici (ou par là), Pandora devrait graviter autour afin d’espionner discrètement les gros mangeurs et leur tomber dessus à la vitesse de la lumière, telle la conjuratrice des calories qu’elle est. Il y a fort à parier que les toasts ne seront faits qu’avec de la farine de blé, et donc du gluten, du pain béni pour Pandora (si vous me passez l’expression). La première remarque de Monsieur Irving questionne la diététicienne.

- Il y aura donc un dispositif de sécurité conséquent, j’imagine. Entre la surveillance des entrées, et également celle des locaux. C’est très bien, nos clients apprécient d’être en lieu sûr. L’achat des caméras de surveillance a coûté cher à tous les membres du Centre, mais la clientèle apprécie et vient plus facilement. Il ne leur en faut pas beaucoup, parfois.

Cherchant dans la poche de sa robe, Pandora sort une carte de visite à son nom pour la donner à Mortimer, il a déjà son adresse mail, mais avoir une carte de visite est toujours plus classe dans l’esprit de la diététicienne. Légèrement old-school, certes, mais le charme de la petite carte brillante aux couleurs jaune et verte lui donnent toujours un sentiment de fierté, de réussite même.

- Je vous donne ma carte de visite Monsieur Irving. Vous avez déjà mon adresse courrielle, mais ainsi, vous aurez ma ligne directe en cas d’ordre à me communiquer pour le jour J. Et puis, si vous trouvez une aide en supplément de Max pour chaperonner ma Pyronille, je l’amènerai avec plaisir, ce sera à vous de me dire.

Ce rendez-vous formel entre la diététicienne et le communicant touche à sa fin, Pandora se sent satisfaite de la tournure des évènements. Elle avait peur que cette réunion ne s’éternise durant des heures et que cela soit pénible, mais finalement elle s’en sort bien. Monsieur Irving lui confirme en lui serrant la main qu’il sera disponible sur son adresse mail. Pandora n’aura probablement rien du tout à lui demander d’ici la grande soirée, ils avaient déjà bien discuté de la chose.

- Merci de votre passage, à bientôt Monsieur Irving. Bonjour à votre Wailmer !

Tournant les talons, Pandora marche d’un pas rapide vers son cabinet. Fermant la porte derrière elle, la diététicienne ne voit pas de suite le petit cadeau laissé par Mortimer. Elle s’installe à son bureau, et vérifie rapidement son agenda. Elle passe au marqueur fluorescent le rendez-vous qui vient de se conclure pour signifier qu’il a été honoré et terminé. Sa prochaine consultation est dans vingt minutes, soulagement pour Pandora qui va pouvoir rapidement envoyer un sms ou deux aux personnes qu’elle souhaite inviter à la soirée caritative. C’est en récupérant son téléphone portable, perdu dans les tréfonds de son trop grand sac à main, qu’elle entend le bruit de sa messagerie tinter depuis l’ordinateur. Pas le temps de regarder le téléphone, elle ouvre le mail qui est signé par Monsieur Irving. Aurait-il oublié quelque chose ? Un conseil, lui serait-il revenu sur le chemin du retour ? Que nenni.

- Un petit quelque chose ? De sa part et d’Odyssey ? Cet étrange bonhomme va me rendre folle…

Elle se lève et jette un rapide coup d'œil dans son cabinet, revenant sur ses pas. Rien sur les étagères, ni sur le porte-manteau, elle se retourne pour vérifier son bureau, mais rien non plus. C’est en éloignant la chaise sur laquelle était installé le communicant qu’elle repère le “cadeau”. Il s’agissait d’une Pokéball de couleur mauve, brillante, avec des pailletes dorées. Dans son mouvement, Pandora tire un peu trop fort la chaise, la Pokéball roule et tombe à terre s’ouvrant dans un bruit de clic-clac juste sous son bureau.

- Mais qu’est-ce que ?

Devant elle se tenait un drôle de Pokémon. Petit, pas l’air agressif ni dangereux, mais ouvrant la gueule dans un bruit étrange, réclamant certainement à manger vu son insistance. Pandora ne se souvient pas du nom de l’espèce de Pokémon, mais il s’agit bien du Pokémon estomac, qui dévore tout sur son passage si l’on n’y prend pas garde. Un cadeau, hein ? Une “surprise” ? De la part d’Odyssey ? Monsieur Irving est un sacré farceur. Quelqu’un d’autre que Pandora aurait pu sauter d’horreur en voyant une telle créature, mais Pandora avait vu bien pire.  

- Eh bien, il faut croire que Monsieur Irving ne tenait pas à toi ma petite. Tiens, grignote ça en attendant.

Elle attrape quelques baies qu’elle dépose au sol, attendant de voir la réaction du Pokémon. Dans un dandinement des plus surprenants, l’estomac glissant avance vers les baies, faisant remuer sa houppette blonde comme s’il s’agissait d’une mèche de cheveux. Les baies ne font pas long feu, avalées à toute vitesse par la Gloupti qui rouvre la bouche d’un bruit de vide. Vous savez, ce bruit que l’on peut entendre les ravins profonds, ce drôle d’écho qui ne signifie que le vide des profondeurs. C’était ce bruit-là que Pandora pouvait entendre résonner dans son cabinet. La houppette toujours en mouvement, la diététicienne trouve ces comportements des plus fascinants, et surtout extrêmement drôles.

- Tu as déjà un nom tout trouvé, ma chère. Barby, tu retournes dans ta Pokéball, tu auras à manger ce soir dans ta nouvelle maison avec tes nouveaux copains.

C’est ainsi que la destinée d’une Gloupti gloutonne, mais glamour, croisa la route d’une diététicienne lui offrant une nouvelle vie sous le signe de l’équilibre alimentaire. Vous sentez l’enfer venir, vous aussi ? Courage, Barby.