C’est le jour des courses chez les Medicis. Figaro déteste ce jour, déteste avoir cette contrainte à un moment bien précis de la semaine. A quoi bon se mettre des tâches répétitives ? On sait ce qu’on a à faire, ce n’est déjà pas rigolo, alors autant le faire quand on en a le moins envie, non ? Sa petite crise existentielle se dissipa presque aussitôt, sous le haussement de ton de sa mère. Même le Moustillon, d’ordinaire si enclin à foutre le bordel, se plie aux exigences de la cheffe. Figaro enfile donc son blouson violet à l’effigie de Branette, son bonnet Ectoplasma et drape le Moustillon d’une écharpe et d’un bonnet assortis. C’est bizarre sur un pokemon eau, mais sa mère a tenu à lui tricoter un ensemble du type préféré de son fils. Le petit pokemon plonge entre les oreilles du bonnet, et les voilà partis.

Partis sans la liste. Bah oui. Figaro soupire. Ils sont à mi-chemin, c’est déjà désagréable de se motiver pour y aller une première fois … s’il rentre il n’est pas sûr de repartir. Un regard consterné au Moustillon lui confirme que lui non plus n’a aucune idée des achats à réaliser. Parfait. Ils aviseront. Le marché est déjà bien animé à cette heure-ci. Figaro entre dans l’arène. Le sac à dos bien remonté sur le dos, un sac vide en équilibre à l’avant-bras, il se lance dans la foule. Comme à l’accoutumée son pokemon indiscipliné fait tout un foin au niveau des stands de nourriture. Si bien que Figaro investit, gardant une réserve pour tenter de contrôler le rebelle. Le Moustillon recommence au stand d’engrais et de pulvérisateur. Cette fois Figaro perd patience. Il attrape le casse bonbon de service et maintient son attention avec une baie.

▬ On rappelle les règles : tu bouges pas. Tu respires doucement. Tes yeux ne regardent que mon bonnet. On ne crache sur personne. Et on reste en pl…

Trop tard, le pokemon a vu autre chose.

▬ En place.

Figaro n’accoure même plus, lassé. Blasé même. Les cris commencent à fuser derrière. Il aimerait bien fuir lui aussi, mais de l’autre côté. Malheureusement le Moustillon est sa responsabilité. Il attrape le chapardeur et le planque sous son bonnet avant de constater les dégâts : l’étal de matériel d’art est dans un bordel sans nom. Et un Goupix semble le maudir du regard. Il se liquéfie sur place. Littéralement. Le Moustillon vient de lancer une attaque de sous bonnet, que Figaro tient fermement des deux mains. Le voilà trempé. Il se confond en excuse, tandis que la vendeuse tente de remettre de l’ordre. Le regard du jeune homme glisse sur la propriétaire du pokemon.

▬ Je suis désolé, il a dû sentir de la nourriture. Ou il avait simplement envie de foutre la merde … Très joli Goupix !

Meilleures justifications Figaro. Apparemment la demoiselle était en pleines emplettes avant que son démon ne vienne tout saloper.

▬ Oh vous dessinez ? J’ai jamais rien sû faire d’autre que des bonhommes bâtons.

Raconte ta vie, Figaro. Comme si ça pouvait effacer le déluge.

Se faire mordre par un Goupix, c’est une excuse valable pour ne pas ramener le contenu de la liste à la maison ? Figaro s’interroge, parce que le pokemon semble bien décidé à le croquer. Et vu la situation, le dresseur jetterait bien le Moustillon en pâture au grogneur. Tandis que la vendeuse continuait de le houspiller, Figaro plissait les yeux comme si le son l’aveuglait. Pourquoi toujours beugler sur les autres ? Il s’était excusé, c’était suffisant non ? Pendant que la jeune femme bafouillait des mots à côté de lui, l’étudiant trempé tentait de remettre un peu d’ordre devant lui, confondant les fusains et les crayons, l’aquarelle et la peinture. Mais au moins c’était bien aligné ! Puisque l’ancienne continuait à lui hurler dessus, Figaro perdit lui aussi son sang froid et décida de tout laisser en plan, de la laisser se démerder. De toute façon elle rebougeait tout ce qu’il ramassait, tout ce qu’il déplaçait. Son attention se recentra sur son interlocutrice.

La proposition de cette dernière le laissa idiot. Aller ailleurs ? Est-ce que ses mots auraient été mal interprétés ? Que voulait-elle à l’attirer ailleurs ? Toutes sortes d’idées farfelues passèrent par la tête de Figaro, un peu égaré. Peut-être que l’eau qui ruisselait sur sa tronche commençait à lui congeler les neurones. Le Moustillon se mit à attaquer furieusement les cheveux de son dresseur, tirant avec son bec plusieurs touffes. Figaro laissa échapper un petit cri aigu, et une larmichette. Décidément rien ne lui était épargné aujourd’hui.

▬ Ouais, on n'est clairement pas les bienvenus ici, et je me caille ! Y a un stand qui vend du chocolat chaud à l’entrée Nord du marché, c’est plus tranquille.

Finalement le Medicis venait de comprendre que la jeune femme cherchait simplement à le tirer de ce mauvais pas. Il trouva l’attention sympathique, et se mit à espérer qu’elle ne s’enfuie pas après avoir quitté le champ de vision de la vieille folle. Il se mit en chemin, zigzaguant parmi la foule tel un bélier en pleine charge. Lorsqu’il arriva devant le vieux monsieur, il demanda deux chocolats avec un supplément de chantilly. Il lui devait au moins ça. Malgré tout, le jeune dresseur n’osa pas se retourner, de peur que la jeune femme n’ait pris la poudre d’escampette. Le vendeur se moqua de l’humidité accrue qui semblait l’avoir assiégé. Figaro rouspéta, se souvenant soudain du Moustillon sauvage qui lui ravageait la tête. Libérant la bestiole, celle-là se mit à râler et à bouder dans un coin. Le Medicis haussa les épaules, et récupéra les deux gobelets, avant de s’exclamer.

▬ Mince ! Mes doigts sont tout noirs ! C’est quoi ce bins ? J’ai dû toucher des trucs chelous … t’as l’habitude d’aller la voir la harpie ? J’espère qu’elle ne te causera pas de soucis la prochaine fois …

Comme toujours Figaro pensait à voix haute, et il jugea que la moitié de ses mots n’avaient aucune importance. A tous les coups il allait importuner la demoiselle, et se faire rembarrer. Ce serait bien mérité. Il lui tendit néanmoins un gobelet, celui qu’il avait le moins sali.

Figaro était assez surpris. Il remarqua à peine le mal être de la jeune femme, sans en comprendre la cause. Peut-être était-ce lui qui la gênait ? Il avala deux gorgées de chocolat pour tenter de se réchauffer un peu, avant de se rappeler qu’il avait un petit manteau pour le Moustillon dans son sac à dos. Il fit glisser la lanière sur son épaule pour l'extirper, et tâcha de s’essuyer du mieux qu’il pouvait. Ceci fait, il colla le gobelet sur sa joue, soupirant de satisfaction. Oui, il était frigorifié et ne s’en était pas rendu compte. Deux autres gorgées, et il se retrouva avec une moustache de chantilly. Pas le moins gêné du monde, il l’essuya du revers de la main. Enfin ragaillardi, Figaro laissa glisser son regard vers les deux pokemons. Il ne savait pas s’il devait redouter que le Goupix ne décide de gober son Moustillon. Un accident fort fâcheux. Pas vrai ?

▬ Kurama, c’est cool comme nom ! Linh aussi, c’est pas commun. Moi c’est Figaro et l’autre fiasco là-bas c’est Arrosoir.

Le nom de son pokemon avait généralement pour habitude de choquer les gens, mais Figaro laissait toujours couler. Après tout, le regard des autres ne l’avait jamais vraiment inquiété. Posant son gobelet, il entreprit d’essorer son bonnet en édition limitée.

▬ Je suis désolé il faut toujours qu’il foute la merde, il n’écoute rien, c’est pas vraiment l’osmose entre nous. Kurama a l’air bien plus sympathique.

Il récupéra son gobelet, avant de fixer de nouveau la jeune femme.

▬ Vous faites des études d’art ou un truc du genre ?

Figaro dansait d’une jambe sur l’autre. Linh l’avait tutoyé, puis vouvoyé. Du coup il ne savait plus ce qu’il devait dire, et ne souhaitait pas être malpoli. Le matériel lui avait semblé assez cher, pas le plus accessible pour faire des gribouillis en attendant que le temps passe.

Décidément, Linh n’était pas comme le commun des mortels. Le nom de son pokemon suscitait généralement l’incompréhension ou les moqueries. Or celle-ci ne manifestait aucune émotion particulière, aucun jugement. Figaro se derrida. Il suivit le regard de son interlocutrice vers les deux pokémons, constatant effectivement un manque d’effort des deux parties. Le dresseur ne s’était jamais demandé si son propre pokemon était sociable. L’idée ne l’avait jamais effleuré le jeune homme. S’il avait mis la mauvaise humeur du Goupix sur le compte de l’agressivité de son Moustillon, Figaro comprenait désormais mieux son comportement. Il aurait préféré avoir ce pokemon feu plutôt que son arrosoir indomptable et grincheux.

La mâchoire de Figaro se décrocha : une illustratrice professionnelle ? En voilà un métier original et intéressant ! Une quantité de questions l’assaillit soudain mais il su se retenir pour ne pas faire fuir Linh. C’était déjà arrivé par le passé, et désormais le Medicis tentait de prendre sur lui pour canaliser toute cette curiosité. Il hocha la tête.

▬ Pour l’instant oui. Je ne sais pas ce que je vais faire après …

Figaro devint songeur. Comme toujours il avait des projets plein la tête, si bien qu’il n’arrivait à en choisir aucun. Reportant toujours la décision finale à plus tard, le jeune homme pensait avoir de la marge. Mais le temps passait, et au lieu d’affiner ses choix il ne faisait que les étendre.

▬ C’est cool illustratrice, tu dois avoir du talent ! Moi je fais un peu d’aquarelle mais c’est très brouillon. Je ne suis bon ni en art, ni en dressage. D’ailleurs ça va être tendu pour les arènes. J’ai récupéré un Voltoutou, je n’ose même pas le sortir de sa pokeball. C’est pas mon type, je ne sais pas ce que je vais en faire.

Il sortit la pokeball au même moment, tout en adressant un regard au Moustillon, toujours en train de bouder et pestant dans une langue incompréhensible. Non pas que Figaro voulait faire de la vie de dresseur un choix de carrière, mais il aurait bien aimé tenter l’aventure des arènes une ou deux fois. A la fois pour le frisson, et pour le pactole à la clef : de quoi faire ce qu’il voulait quand il voulait, sans avoir recours à l’argent de son paternel.

Décidément, c’était le jour de chance de Figaro ! S’il risquait de se faire éclater en rentrant le sac vide, au moins aurait-il fait du profit aujourd’hui ! Le jeune dresseur n’avait sorti son Voltoutou qu’une seule fois, juste après son achat pour savoir ce que la pokeball contenait. Il n’avait donc pas eu le temps de s’y attacher. Le pokemon était davantage un fardeau qu’un atout pour le jeune homme, bien plus friand de pokemon spectre. Néanmoins s’il avait été tenté de le revendre à la gloire d’Hadès, il n’avait pas encore franchi le pas. Et pour cause : s’il n’appréciait pas le petit animal il ne lui voulait pas du mal pour autant. Hors de question de le refourguer à un psychopathe en puissance ! Figaro regarda Linh droit dans les yeux, puis le Goupix. Celui-ci ne semblait pas maltraité, et la jeune femme semblait sérieuse. Et plus compétente que lui. Il lui tendit donc la pokeball, haussant les épaules.

▬ Tu n’as pas l’air d’une tortionnaire alors … il sera sûrement bien plus heureux avec toi. Disons donc 30 pièces, c’est le prix que j’ai payé. J’espère qu’il s’entendra bien avec Kurama !

Il adressa un regard interrogateur au Goupix, sans parvenir à discerner si le pokemon acquiesça ou le fusillait du regard. Figaro fut surpris de la question suivante. Il transpirait le spectre par tous les ports de sa peau, non ? Même sa tignasse enragée était à la couleur de son type favori ! Les yeux écarquillés il pointa son manteau branette et son bonnet Ectoplasma.

▬ Sérieux ? C’est pas évident ? Le type spectre bien sûr ! Je pensais que ce serait assez visible … mais du coup si ça ne coule pas de source, c’est peut-être pour ça que les distributeurs me filent tous les autres types.

Figaro réfléchit sérieusement à la question, comme si la machine analysait son style vestimentaire, sa psyché. Allez savoir. Il s’était toujours demandé si derrière la façade se trouvait un circuit imprimé, ou une personne qui appuyait sur divers boutons en fonction de la personne qui se présentait. A nouveau, le jeune Medicis tomba des nues. Une dresseuse ! Il était face à une dresseuse ! Voilà pourquoi le Goupix savait se tenir, contrairement au Moustillon ! Les yeux plein d’étoiles, Figaro ne put contenir davantage son excitation.

▬ Une dresseuse ?! C’est génial ! Tu dois être très talentueuse ! C’est fantastique ! Je cherchais justement un mentor ! Mais oui … le destin a parlé !

Se frottant le menton, Figaro fit fonctionner ses méninges à pleine vitesse. S’inclinant brutalement en avant, il fit la plus grande déclaration de sa vie.

▬ Soyez mon mentor sensei ! Apprenez-moi tous les secrets des arènes, et les meilleures techniques de dressage !

Sur ce il attrapa le Moustillon boudeur et lui fit baisser la tête, s’inclinant ainsi tous deux devant leur nouveau modèle.

Figaro était satisfait de son affaire du jour. Récupérant ses petites pièces, il la regardait ranger la pokeball, confiante. Oui, il avait fait le bon choix ! Son amour propre en revanche prit un coup. Apparemment son style si travaillé n’était pas suffisamment parlant. Il pleurait intérieurement, le Medicis. Son cerveau finit par faire une sélection par lui-même. Il éluda certains mots, afin d’obtenir une phrase qui lui conviendrait davantage. Ainsi les précisions de Linh devinrent un “Ah ! Attends, attends ! J’ai fait des arènes, je me suis inscrite il y a peu, je sais j’ai l’étouffe d’une dresseuse !”. Tout le négatif avait disparu, et les étoiles présentes dans les mirettes de Figaro brillaient de mille feux. Les poings serrés, le jeune homme rebondit sur les derniers mots de son mentor, plein d’entrain.

▬ C’est vrai ça, très lucide comme remarque ! Ça montre bien que tu es suffisamment mature pour m’apprendre le plus important !

Il sortit un carnet de son sac pour y apposer les mots prononcés par Linh, comme une liste de courses. Entre un tableau périodique des éléments et une formule douteuse, il griffonna les mots suivants : 1) Voir quelqu’un d’autre, 2) Linh a toujours raison, 3) On verra les combats quand Linh les aura pratiqués, en attendant, revenir au point numéro deux. Il écrivit si vite, et si mal, qu’il peina à se relire.

▬ De toute façon, je dois déjà apprendre à dresser mes bestioles, faut que Moustillon devienne un Kurama ! Quels sont tes conseils Sensei ? Oh et tu reveux peut-être un chocolat ?

C’était peine perdue de lutter, Figaro avait déjà tranché et il ne reviendrait pas sur sa décision. De toute manière, quand on part du plus bas on ne peut que monter ! Au moins Linh avait-elle une humilité sincère. Figaro n’aurait pas supporté un mentor aux chevilles équitables à celles d’un éléphant.

Le premier conseil prodigué par Linh pouvait sembler évident, mais il ne l’était pas pour Figaro. Puisque le Moustillon ne l’avait pas intéressé, l’idée de tisser du lien avec lui ne l’avait même pas effleuré. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il faisait un carnage sur son passage ? Le jeune étudiant écrivait de plus belle. Il se sentit idiot en constatant qu’il n’avait aucune réponse à fournir aux interrogations de l’artiste. Il se serait sûrement posé toutes ces questions avec un autre pokemon, mais Arrosoir jouait davantage le rôle de boulet que le rôle de compagnon. Il jeta un œil à son pokemon, sans trop savoir quoi en faire. Tout était à reprendre de A à Z. Tomber sur Linh était une chance. S’il était parti dans les arènes dans cet état-là, il aurait à peine eu le temps de jeter un oeil aux rayons du soleil qu’il aurait été extrait de la fosse.

Figaro farfouilla au plus profond de lui-même. Il ne pouvait pas vendre le Moustillon, sa mère lui en voudrait à jamais. Même après le bordel foutu régulièrement dans la boutique. Et pourtant, il n’était pas certain que le courant passerait un jour, qu’il arriverait à mettre à profit tous ces bons conseils avec ce pokemon là. Il ne savait même pas quoi répondre à la dernière question de Linh. Pour tenter de se donner le temps de la réflexion, il commanda un autre chocolat. Le vent gelait ses os jusqu’à la moelle, et les quelques gorgées lui permirent de gagner quelques secondes supplémentaires. Finalement il haussa les épaules, résigné.

▬ Franchement, je n’ai appliqué aucun de tes conseils. Je n’avais pas spécialement décidé d’avoir un Pokemon. Ma mère m’a offert ce Moustillon mais … je ne saurais même plus te dire quand. Au départ il prenait plaisir à arroser les plantes de la boutique avec ma mère, mais entre nous deux c’était assez polaire.

Il observait le Moustillon, sans parvenir à fixer une date sur son arrivée. Il ne l’avait certainement pas depuis si longtemps, si ? Pourquoi sa mère avait-elle décidé de le lui céder ? Le type du pokemon n’avait pas tant d’importance. Leur caractère semblaient incompatibles, tout simplement.

▬ La dernière fois je l’ai amené au parc. Il m’a trempé et a semé la terreur. Quand je bosse ma chimie il se mêle aux expériences et vire au vert. Sincèrement j’ai du mal à voir le genre d’activité qu’on pourrait pratiquer. Mais je prends bonne note de tous tes conseils !

Figaro observa tour à tour le Goupix et sa propriétaire.

▬ Ca doit pourtant pouvoir fonctionner. Tu n’avais pas l’air très à l’aise dans la foule toute à l’heure. Si Kurama préfère être l’objet de tous les regards, c’est que vos caractères ne matchent pas tant que ça. Et pourtant vous semblez complices. Tu l’as depuis longtemps toi ?

Peut-être fallait-il des mois, ou même des années pour tisser un lien ? Le jeune Medicis n’était pas prêt de devenir dresseur à son tour !