LA PLANTATION
Des rangées de caféiers à perte de vue. Des dizaines d’ouvriers qui récoltent et trient les cerises sous le soleil brûlant d’un éternel été. L’odeur entêtante du café grillé qui embaume chaque chemin de terre, chaque sentier pavé. Une musique au loin, des airs de guitare, des notes d’accordéon. C’est un véritable paradis sur terre, qui a l’air à mille lieues du béton d’Atlas et qui, pourtant, n’en est pas si loin. Et à son sommet règne d’une main de fer la Dame Rojas - une septuagénaire toute de rouge vêtue, véritable symbole de son empire caféier.
Pas qu’un empire d’ailleurs; un véritable monopole. Les terres d’Artémis ne sont pas infinies après tout, et il fallait bien quelqu’un pour combler le besoin en caféine d’Odyssey et de tout Atlas. C’est dans sa jeunesse que la Dame Rojas a planté ses premières semences de caféier - depuis, la plantation a tant grandi, a tant prospéré, qu’elle est devenue un point de repère sur les terres agricoles.
Il se murmure que ça a été trop vite. Trop facile. C’est sans doute vrai; la Dame Rojas était amie des prédécesseurs de Meredith, et ils ont su récompenser sa loyauté. L’aider à construire son empire, à le promouvoir, à le financer - et surtout, à entretenir les bonnes relations avec les bonnes personnes.
Plusieurs variétés de café sont cultivées à la plantation Rojas, sous différentes marques. Les grains y sont torréfiés sur place et livrés partout où on les demande - ne vous y trompez pas, chaque goutte de votre précieux café vient de là. Chaque arôme, chaque dessert, chaque tiramisu; tous les bars, tous les restaurants, tous les hôtels, toutes les terrasses ont la plantation Rojas comme point commun.
On oublie trop vite l’influence de ceux qui nous nourrissent. Meredith, elle, ne l’oublie pas - et les Rojas non plus. Maintenant qu’elle a repris le flambeau de Demeter (sous les votes fervents de
la familia), la plantation croît toujours, et la nouvelle génération est prête à continuer la dynastie.
LA NOUVELLE GÉNÉRATION
Petite Lupita naît dans la demeure familiale. Elle est bien entourée - si elle n’a pas de frères et sœurs, les ouvriers de la plantation sont pour elle autant d’oncles et de tantes. C’est sa grand-mère qui l’élève; et Lupita grandit dans le bonheur de l’insouciance. Elle passe son enfance dans les rires et la joie, à courir avec les enfants des ouvriers entre les rangées de caféiers, à manger la pulpe sucrée des cerises avant d’en récolter le grain. Bien sûr, on la met à contribution dès son plus jeune âge et dès qu’elle rentre de l’école : elle apprend le cycle de vie du café, comment déceler un plant malade, comment savoir quand récolter, les spécificités des différentes variétés. Elle se mêle à chaque corps de métier mais c’est surtout chez le torréfacteur qu’on la retrouve souvent. Comment résister à cette odeur ?
On la protège des péchés de la vie moderne; dans la maison des Rojas, pas de télé, pas de radio, à peine un journal. Pas de téléphone portable, pas d’ordinateur, et seulement une correspondance écrite autorisée pour prendre des nouvelles de la famille perdue dans le Désert d’Anhour. Des Pokémons, elle ne connaît que le Ceribou de sa grand-mère; les arènes ? C’est un sport inintéressant, qu’on lui dit. Et elle est sage, Lupita, elle ne pose pas plus de questions que cela. Elle ne le sait pas mais elle a bien raison : elle a de la chance d’être née ici et pas à Hadès, d’avoir une grand-mère forte pour l’élever, d’apprendre les qualités d’une future cheffe d’entreprise dès son enfance.
Rien ne vient gâcher ces années de bonheur si ce n’est, parfois, une
ombre passagère.
Des questions innocentes des autres enfants : “
mais ils sont où tes parents ?”. Une claque sur la bouche pour les faire taire, et Lupita ne répond pas - elle n’a pas le droit d’en parler, elle doit faire comme si elle n’avait rien entendu.
Un policier passe de temps en temps. Il veut voir la plantation. Les ouvriers l’évitent comme la peste et se taisent à son passage mais la Dame Rojas l’accueille avec toute son hospitalité et de grands sourires : on le fait visiter, et il ne trouve rien d’étrange. Ce n’est pas comme s’il savait
différencier les plants, après tout. Pourtant, ils reviennent, encore et toujours; mais sans jamais rien trouver de suspect.
Des gens de la ville, toujours particulièrement bien habillés, viennent également. Eux aussi sont accueillis avec les honneurs - mais avec la même réserve, la même hypocrisie qu’on réserve à la police. Ils viennent demander des
services à la Dame Rojas, et elle accepte. Elle a besoin d’eux pour faire prospérer son empire, après tout. Les fameuses
relations.
LE PREMIER POKÉMON
Lupita a le sens des affaires; elle devient une jeune femme sûre d’elle et tout à fait consciente de ce qu’exige la plantation. Elle sait en prendre soin et prendre soin de ses ouvriers, tout comme elle sait entretenir les relations créées par sa grand-mère et surveiller de loin la politique. Elle est loyale à Meredith et c’est de là qu’elle apprend réellement l’utilité des arènes. L’ex-dresseuse l’influence, et Lupita s’approche peu à peu de ce monde interdit.
Elle se dit qu’elle pourrait aimer ça - qu’elle a ce qu’il faut pour survivre en arène. Elle n’est pas une citadine, elle ne s’est pas roulée dans le confort depuis sa naissance - elle connaît les heures éreintantes de travail manuel sous le soleil brûlant, elle connaît les courbatures et l’adversité. Elle pourrait passer à la télé elle aussi… mais pas seule.
Alors, elle tente un premier tirage. Une mignonne petite
Gatita lui tombe dans les mains. Bon, il semblerait que le destin (et sans doute les superstitions de sa grand-mère) ait décidé pour elle : un Skitty n’est pas fait pour l’arène, et Lupita non plus.
A moitié déçue, à moitié rassurée, Lupita retourne vers sa plantation chérie. Évidemment, elle ment à sa grand-mère - le chaton ? Oh, elle l’a trouvé abandonné dans la rue, la pauvre bête ! La Dame Rojas n’aurait jamais accepté que sa petite-fille penche vers les PokéGachas et les arènes, mais elle accepte l’histoire du chaton secouru, et Gatita est accueillie sans mal dans la grande famille.
L'ARÈNE
Lupita ne sait pas par où commencer, et elle se dit qu’à son âge, c’est peut-être trop tard. Peut-être devrait-elle se contenter de la plantation et ne pas en vouloir plus. C’est déjà bien assez de travail pour elle, non ?
Alors, elle abandonne l’idée des arènes… jusqu’à ce que sa grand-mère lui remette l’idée en tête malgré elle.
Un jour, sans crier gare, elle lui met un Pokémon feu entre les mains. Elle a vu combien Lupita s’occupait bien de sa Skitty, et ça l’a convaincue : sa petite-fille est assez responsable pour devenir le maître torréfacteur de la famille. Pour cela, il lui fallait des flammes - et la Dame Rojas les lui offre sur un plateau d’argent.
Ce moment reste pour Lupita l’un des plus beaux jours de sa vie - la confiance qu’on lui accorde et ces nouvelles responsabilités la touchent en plein cœur. Elle travaille dur quelque temps, en oubliant son rêve passé. Et pourtant… les flammes de son nouveau Pokémon lui font miroiter chaque jour un nouvel avenir. Avec un peu d’entraînement, lui, il pourrait tenir le coup en arène…
Alors un jour, Lupita s’inscrit. Elle prend un faux nom et se retrouve propulsée dans une arène lambda avec son Pokémon feu. Elle ne finit pas dans les derniers (gros coup de chance, sans doute) mais se fait éliminer à la mi-compétition; elle ne s’est pas fait remarquer mais cette première expérience lui permet de saisir l’ampleur du défi qu’elle s’impose. Elle veut progresser, retenter le coup, mais elle sait qu’elle ne pourra pas réussir seule. Il lui faut une écurie assez discrète pour l’épauler dans cette aventure sans empiéter sur sa vie privée.
Heureusement que sa grand-mère n’a pas la télé…