Je suis un d’ces chats noirs, un canevas d’trottoir, un corbeau ostentatoire. Et j’contemple cette escouade faiblarde avec une pointe d’appréhension. Un félin d’gouttière avec un canif, un mec à binocle, la barmaid avec son fusil d’chasse. Je sais rien d’eux, mais je juge les êtres sur leurs apparences. Parce que c’est tangible. Contrairement à l’âme, contrairement au cœur. Et comme je n’ai aucun moyen d’connaître leurs cordes sources, de facto, j’leurs accorde aucunement ma confiance. Peut-être bien que je ne m’attendais pas à ce genre d’équipe. Autant que je ne m’attendais pas à un braquage. Mais je n’espérais rien non plus. Alors, c’est du pareil au même. L’important, c’est pas les cartes. L’important, c’est pas la provenance des stup’. C’est ce qu’on en fait. Ouais, c’est ce qu’on en fait.
Alors qu’importe cette équipe. Ce soir, c’est encore Toxine et moi, dans l’obscurité des rues, reniflant quelques airs de rébellion. J’ai l’keffieh sur l’visage, un paquet d’clope dans les poches, des touches d’éthanol dans les artères. Parfait. Les deux autres, ils essayent de discutailler pendant que j’garde le silence. Je n’ai pas à ajouter de bruit au bruit. Braquer un Pokégacha, moi, quelque part, ça m’semble plutôt honnête. Assez juste. Peut-être parce que ça fait vingt-huit ans qu’Odyssey m’braque, pistolet sur la tempe. Et que je suis pas l’seul otage dans cette vaste banque. Evidemment que le plan est plutôt puant, mais on improvisera. En tout cas, Toxine et moi, on improvisera. Quant aux autres…
« Vous deux, si vous voulez décarrer, je crois qu’il est encore temps. »La ferraille de l’escalier d’service en branle sous mes bottes. Je sais pas vraiment dans quoi je m’embarque. Et qu’importe, de toute manière, cette nuit, c’était ça, ou les acides. Système de vie binaire. Les psychotropes ou la délinquance. Comme s’il y avait seulement deux issues à l’existence. Les paradis artificiels, et la dissidence. Certains en édifierait peut-être un système philosophique. Moi, je m’contente de m’laisser tomber, jusqu’à l’asphalte. Relevant la tête simplement pour voir où en sont les deux autres. Nous sommes tous pris dans l’tourbillon d’la méfiance et du doute. Comme si nous avions les paupières closes. Une cécité subite. La question, désormais, étant d’savoir si on s’pose sur un canapé en attendant le retour d’une lumière qui n’viendra peut-être pas. Ou si on continue de déambuler, quitte à s’prendre les pieds dans l’tapis. Et de s’écraser l’tarin contre le parquet.
- Résumé:
Micha est resté silencieux jusque-là, mais n'hésite pas une seconde à suivre le mouvement, malgré la piètre opinion qu'il a de la constitution de l'équipe. Quelque part, il trouve que le braquage est juste. Il n'a que son tritox avec lui.