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C'est l'histoire d'un petit canard qui s'est envolé loin de sa famille. Petit canard ne se voyait pas brasser la bière comme ses prédécesseurs, il y préférait la liberté de ses propres plumes. Il dut s'arracher à ses terres et ses liens étranglants pour finir dans l'effervescence de la jungle. Se coinçant l'aile dans une liane, un serpent lui proposa de venir couver ses œufs à sa place en échange de la vie sauve et d'une vulgaire pitance. Couver les œufs de ce serpent l'écœurait au plus haut point mais il s'y prêta, plongeant dans l'illusion d'une liberté factice. Sauf qu'il n'était pas dupe, et le petit canard usait sa plume chaque soir après le travail. Il faisait couler l'encre pour oublier ces œufs qui étaient envoyés chaque jour comme une vulgaire marchandise alors qu'en leur sein vivaient des êtres qui ne connaîtraient jamais la liberté, tout comme lui. Car Petit canard n'était pas doué de grand-chose si ce n'étaient ses mots et le soin qu'il savait apporter à ses précieuses couvées...

Hernan fut coupé par une quinte de toux et lâcha un instant son stylo en attendant que ça se calme, s'armant cette fois d'une cuillère et de son sirop. Il lui fallut quelques secondes pour reprendre son souffle, les larmes brouillant ses yeux clairs. Quand ce fut le cas, il reprit calmement son écriture.

Un jour, le petit canard fit la rencontre d'une araignée masquée, que tout le monde rejetait et détestait. Elle s'était échappée des couvées du serpent et avait atterri sur le plumage du jeune canard.

Nouvelle toux.
Un Mimiqui poppe de sous le bureau et observe d'un air inquiet le blondinet. Iel lui donne quelques légers coups à la jambe comme pour le déloger de son siège. L'humain sourit tristement, puis pose une nouvelle fois son stylo et s'adosse complètement à sa chaise grinçante. Il tend le bras pour lui tapoter doucement la tête.

"Oui tu as raison... Je pense que c'est assez pour aujourd'hui."

L'épuisement assommait sa chair. Il devrait rester au lit mais il en avait marre de cette fatalité qui le ramenait toujours en Automne au même endroit depuis l'enfance. Il détestait cette période et ses bronches malades.
Il referme le petit carnet et s'étend avec lassitude sur sa couche. Il s'assoupit.
Sa conscience laisse place aux souvenirs.

"Hernan !"

La voix de son père résonnait toujours aussi désagréablement entre ses tympans. Elle était synonyme d'ennui et de labeur forcé. Celui d'un futur qu'on voulait lui imposer mais qui, il le savait, ne lui plairait jamais. Son grand-frère hériterait de la pharmacie de leur mère tandis que lui se coltinerait la brasserie traditionnelle de la famille de son père. Mais il n'était pas fait pour ça. Il aimait trop s'évader et exécrait les efforts physiques. Son père lui menait la vie dure pour le dresser, car il ne souhaitait en aucun cas que son affaire soit rachetée par ses rivaux commerciaux trempant dans d'autres crus. "Enfin, on ne fait pas de la bière comme on fait du whisky ! Ces crétins n'y comprennent rien, ils vont juste faire de la bouillasse vaguement alcoolisée si je les laisse prendre l'affaire familiale ! Et ça, il en est hors de question ! Moi vivant tout comme mort, hors de question que l'honneur des Brawer soit sali !"

La famille Brawer s'était battue becs et ongles il y a plusieurs générations de cela pour être parmi les principaux brasseurs d'Atlas, quand quasiment tous les autres continents ont fini engloutis. Forte d'une grande réputation déjà à cette époque, la tradition s'était transmise de parent en enfant au fil du temps et se butait au jeune Hernan et ses rêveries. "Même si tu étais un génie à l'école, c'est l'affaire familiale qui compte avant tout ! Puisque tu n'es bon à rien de toute façon, autant que tu sois bon à brasser la bière tiens. Au travail jeune homme !"

Hernan était un enfant calme et nerveux, mais qui tombait surtout très régulièrement malade. Il avait un métabolisme relativement fragile que les effluves d'alcool n'aidaient en rien. Il s'est rendurci au fil de sa croissance sur ce plan-là, mais chaque Automne ça ne manque pas, il faut qu'il choppe au moins une fois la crève.

À part ça, comme tout un l'aura compris, les études n'étaient pas sa tasse de thé. Il préférait s'enfermer dans son petit carnet d'écriture où il écrivait tout et n'importe quoi, tant que ça le libérait des flux de paroles qui lui traversaient les synapses. Très jeune, maladroit à l'oral, il avait ressenti le besoin de se construire autour de phrases qui devinrent des poèmes puis parfois des histoires. En réalité, même s'il avait gagné en aisance orale depuis, il en était toujours au même stade.

Venue la période de rébellion adolescente, il affirma son désir de vivre de ses mots. Ce fut très mal reçu par sa famille et il fugua. La fugue dura trois jours, on le retrouva sous un carton, brûlant de fièvre. Les mois froids n'étaient décidément jamais de son côté. C'est là que son père lui servit son discours. "Écoute mon petit gars. Barre-toi si ça te chante. Abandonne ta famille et une stabilité financière assurée si tu le veux. Mais je te préviens. Ne reviens pas, et ne me parle plus, parce que la seconde où tu passeras ton putain de pied de l'autre côté de la porte, tu peux oublier que t'es mon fils. Choisis, assume et démerde-toi."


Hernan partit une fois qu'il fut rétabli, quelques jours plus tard. Il avait fini lamentablement ses études dans le secondaire, mais il en était libéré. Il ne partit pas sans plan. Un ami lui avait donné un assez bon conseil : "Si tu comptes prendre ton indépendance, il te faut un boulot en dehors de tes gribouillages. Puisque t'es un peu maladroit dans tout, choisis un boulot simple, et chez quelqu'un qui a du flouz. Odyssey par exemple ?"

C'est donc là qu'il chercha en premier. Il aimait bien l'univers des Tournois et des Pokémons mais ne connaissait pas grand-chose du système - il ne s'y était pas véritablement intéressé. Il envoya sa candidature pour des postes de secrétaire ou de réceptionniste. Il fut reçu pour l'un, dans un bâtiment récent d'Odyssey. Il faisait du bon travail, mais sa tendance à s'évader dans ses rêveries lui faisait louper une information sur deux, et au bout de trois semaines on le remplaça. Mais durant ces trois semaines, il fit la connaissance de plusieurs personnes chez Odyssey, dont l'une d'entre elles, touchée par son personnage, l'aida à trouver un autre travail chez Odyssey et même une collocation à la hauteur de ses maigres moyens.

Il fut donc "formé" à réparer des PokéGachas. Cela coïncida avec la maladie de sa mère, qui l'emporta le mois d'après. Son frère - son père ne cherchait plus à lui parler - l'accusa de l'avoir faite crever de tristesse d'être parti comme un voleur. Ce fut le dernier vrai contact qu'il eut avec son frère. Il apprit quelques mois plus tard que son père s'était remarié, et quelques mois plus tard encore qu'ils attendaient un enfant. C'était iel qui hériterait finalement de la brasserie Brawer - à moins qu'iel ne fasse le même tour que Hernan avait fait à sa famille.

On lui montra les rouages de ces petites machines qui apportaient tant au régime d'Odyssey. En réalité, celle chargée de former Hernan ne se foula pas vraiment. "Voilà, quand t'as une panne t'ouvres le PokéGacha avec cette clef, tu vérifies que tout paraît droit, là, comme ça, voilà, ensuite tu refermes, tu testes avec une des pièces dans la machine, et tu recommences jusqu'à ce que t'aies trouvé le bug. Et si ça marche pas, cogne un coup. Compris ? Bidouille jusqu'à ce que ça marche. Voilà ta trousse d'outils. Allez je te laisse, j'ai du travail."

Qu'on soit clairs : Hernan n'est pas quelqu'un de très manuel. Les seules machines qu'il ait jamais touchées étaient les moulins à malt de son père. Pourtant, livré à lui-même, il dut apprendre par la force des choses comment débloquer des PokéGachas ou les réparer quand ils ont reçu des dommages de la part d'utilisateurs. Souvent des gens pas contents de ne pas avoir eu le Pokémon qu'ils voulaient.

Mais il y avait quelque chose qui le révoltait dans le fait que la société se base sur la vente d'êtres vivants pour avancer. Les Pokémons étaient standardisés comme de la sardine en boîte, ramenés à l'état en dessous d'objets ou de comestibles. Hernan trouve ces êtres tout simplement incroyables et a dû mal à accepter qu'on les vende. Dans ses écrits, il rêve souvent de terres où ils pourraient vivre et gambader librement, sans l'humain pour les contrôler.

Assez rapidement, il trouva en les machines gacha un nouveau mode d'expression. Au lieu de garder ses écrits dans un coin indéfiniment jusqu'à ce qu'ils puissent potentiellement être édités, il pouvait en éditer lui-même sous la forme de stickers qu'il collerait dans la ville. Il se libérait ainsi de ses émotions mitigées et permettait peut-être d'apporter une nouvelle lumière au système.


Va dans un magasin de jouets, l'enfant,
Ici tu ne trouveras que tourments.



Un extrait de ses premiers poèmes. Ceux-ci connurent une nette nuance quand il fit la rencontre de June. Et puis ses thèmes s'élargissaient au fil des mois, alternant sujets sérieux et douceur à l'âme ; ils s'étendaient au-delà des machines gacha, allant sur les poteaux et les murs métalliques, les grilles et les échoppes clandestines. Il n'a jamais signé aucun de ses écrits mais on reconnaît assez facilement sa patte.

Mais pour revenir à sa rencontre avec June : il venait de réparer une machine en bordure d'Hera quand un jeune garçon bien habillé accompagné de son Couafarel arriva pour tenter sa chance, monnaie en main. Il se saisit tout excité de la PokéBall qui tomba, puis en fit sortir le Pokémon.

Une Mimiqui.

Une déception mêlée de dégoût se peignit sur les traits du gamin. "Mais je voulais un PIKACHU moi ! C'est quoi ce machin ? C'est trop nul ces machines !"
La frustration grimpa dans son regard, qui se posa sur Hernan. Il lui tendit la PokéBall : "Tu veux bien m'en soulager monsieur ? J'veux pas de ce truc dans mon équipe !"
En fait Hernan prit machinalement la PokéBall, un peu sonné par le flot d'agressivité que l'enfant avait envoyé à la figure du pauvre Mimiqui. Le gamin s'éloigna avec un gros soupir et un pas lourd et boudeur. "Cimer et au revoir, allez viens Chienchien. Quel anniversaire pourrave. J'aurais mieux fait de demander la dernière console de jeu."

Il disparut, laissant Hernan avec le Mimiqui blessé. Hernan baissa le regard sur le Pokémon.
Cela faisait des années qu'il était formel envers lui-même : il ne voulait pas de Pokémon. Acheter un être vivant ? Très peu pour lui. Mais tout s'était passé très vite. Et il se voyait mal abandonner ce Mimiqui aux yeux extrêmement tristes. Ce serait vraiment terrible pour iel.
Il s'avança et s'accroupit en face d'iel. Il approcha timidement sa main pour la poser sur sa fausse tête.
"Ne t'inquiètes pas. Moi, je ne t'abandonnerai pas."