Skye, entre l’anticipation, l’excitation et le doute, était toute tremblante. Depuis la veille qu’elle avait mis son superbe cosplay de côté, étendu sagement et proprement sur sa surface de travail pour une fois bien nettoyée. Un peu plus et elle aurait carrément dormie dans son cosplay tant elle en était fière, certes, mais aussi tant elle avait hâte de quitter l’entrepôt où elle habitait avec sa famille de cœur.  Au réveil, direct elle passa à la douche, remerciant Arcéus que la salle de bain soit libre à cette heure. Une fois sentant bon le body wash et le shampooing à la vanille, Skye se permit enfin d’approcher le costume qu’elle ne voulait absolument pas souiller avec des ongles sales : faut dire, la partie d’en dessous de la robe était d’un blanc immaculé qui touchait presque au sol -bonne chance pour la retenir dans les transports en commun Skye, quelle idée de génie!

Elle enfila le tout en plusieurs étapes; d’un on mettait la grosse crinoline aussi lourde que pouffant, puis la robe blanche, et puis encore la robe rouge aux longues manches qui s’ouvraient au niveau du coude pour dévoiler les avant-bras de la jeune couturière.  Puis elle posa ses verres de contact dans ses yeux, et puis arrangea sa perruque dont le teint concordait, heureusement, avec celui de la robe aux appendages rappelant les tentacules Octillery -parce qu’après tout, c’était ce pokémon tout spécial qu’elle cosplayait! Fallait dire que le choix de ce costume n’était pas le fruit du hasard; il se trouvait que Mortimer, un des publicistes pour qui elle était une simp finie, adorait particulièrement les pokémons poissons et mollusques en tous genres, et elle espérait lui taper un peu dans l’œil.

Est-ce qu’elle en pinçait un peu pour lui, l’excentrique et flamboyant collègue de travail? Vous savez, peut-être que c’est dû à son âge (ou une relative innocence dans cette sphère, plutôt), mais Skye en pince pour tout le monde qu’elle trouve un peu cool, et Mortimer, dans son cœur de jeune fille à elle, il était très cool. Avec ses petites lunettes, ses cheveux teints, sa manière d’entrer dans une pièce; il était tout ce que Skye n’était pas, dans sa tête à elle. Certes, elle pouvait attirer l’œil avec un cosplay ou un autre -mais en dessous de ces atours, elle savait qu’elle était une jeune femme à l’apparence et la contenance des plus banales. Sans ses costumes et perruques, personne ne se souviendrait de son passage dans un corridor, et ce n’était certainement pas sa personnalité docile qui allait lui gagner des points en la matière.

Passons; elle avait son costume, et tout était parfait; elle s’afférait poser une petite passe sur le sommet de son crâne, qui mettrait un petit détail de plus au costume, tout en lui permettait de bien sceller la perruque en place lors de ses déplacements. Hop; deux petits barrettes toutes rondes à l’avant de la perruque pour empêcher que les mèches ne viennent lui gratouiller le visage, et elle était fin prête à quitter l’entrepôt, fourrant les manches longues de sa robe dans les manches, plus étroites, de son manteau, puis décidant de transporter son matériel dans un sac à main parce qu’avec tout ça, elle n’était pas sûre de pouvoir faire tenir confortablement son sac à dos, eh bien, dans son dos.

Le transport en commun avait été, comme à son habitude, efficace; elle était restée debout tout le long, non pas parce qu’elle préférait céder sa place à d’autres, mais très égoïstement parce qu’elle ne voulait pas froisser les plis de la jupe de son costume. Une fois arrivée dans les bureaux d’Odyssey, elle se rendit dans les bureaux du quatrième étage, suivant les flèches sur les panneaux d’indication pour se rendre à la pièce 432; regardant son téléphone pour voir l’heure, une moue se dessina bien vite sur ses lèvres : elle avait une bonne demi-heure d’avance… et il n’était pas question pour elle de s’asseoir sur une chaise, mais elle avait mal aux pieds; aussi ouvrit-elle la porte de la -trop- grande salle que Mortimer leur avait réservée et, allez savoir ce qui lui était passé par la tête, décida d’enlever ses chaussures une fois la lumière allumée.

Déposant son sac à main format géant sur la longue table de conférence, Skye n’avait même pas hésité une seconde avant d’y monter pour aller s’y asseoir en tailleurs, étalant sa jupe en cercle autour d’elle telle la petite princesse qu’elle se voulait parfois être. Ainsi installée, ses jambes bien repliées l’une sur l’autre, elle sorti son carnet de croquis et, plutôt que de l’inspecter pour la énième fois, le plaça à bout de bras pour ne pas être tentée d’y faire des corrections, puis sorti une Pokéball solitaire -ses autres pokémons ayant décidés de rester à la maison- pour en faire sortir Doudou, son Toudoudou qui se prenait pour le centre de l’univers; ça lui donnerait une bonne occasion de passer un peu de temps en solo avec elle!

«Bon matin, Doudou» fit Skye alors que la boule rose venait se lover dans le creux au centre de ses jambes repliées, «dur réveil?»

Elles causèrent ainsi pendant un petit moment; Skye posant des questions, et Doudou gazouillant de bonheur d’avoir sa maitresse rien que pour elle. Si la jeune couturière ne comprenait pas toujours ce que sa Doudou lui racontait, elle essayait quand même très fort de la comprendre, et, de ce fait, d’apprendre à mieux la connaitre. Était-ce comme cela que les dresseurs raffermissaient leurs liens avec leurs pokémons? Allez savoir, Skye en doutait, mais après tout il y a autant de sortes de maitres pokémons qu’il y a de pokémon, pas vrai?

C’était tout bien et tout beau, en tout cas, jusqu’à ce que la poignée de porte se mette à tourner à nouveau; dans sa fébrilité, Skye cessa immédiatement de donner de l’attention à la petite boule rose, qui en était des plus mécontentes…

Force était de constater que c’était lui qui menait la discussion; aussi n’insista-t-elle pas plus -après tout ils auraient tout le loisir de revenir sur ses croquis un peu plus tard, non? Le ton doucereux de sa voix l’inquiétait presque, mais surtout il lui donnait l’impression d’être une gamine, et en bonne gamine qui cherchait l’approbation d’un adulte, elle n’avait d’autre choix que de faire ce qu’il lui demandait. Aussi hocha-t-elle inopinément de la tête, l’accompagnant d’une simple petit «bien sûr» alors qu’elle s’approchait à sa demande. Maladroite, anxieuse, c’est sans réfléchir qu’elle attrapa la main tendue vers elle, comme si on la lui tendait pour l’attirer dans une danse.

Ah! Ce qu’elle pouvait se trouver idiote; à peine ses doigts eurent-ils effleurés la paume de Mortimer qu’elle se dit que ce ne devait pas être là la raison de son extension; peut-être était-ce simplement qun mouvement fait pour l’inviter à s’approcher, mais en tout cas elle n’osa pas retirer la main; autant assumer. Elle resta un moment coite, ne sachant pas quoi dire; qui donc pouvait deviner ce qui se passait dans la tête parfaitement coiffés de son collègue, derrière ses petites lunettes de fumées tellement craquantes? D’instinct ses yeux d’ébène se posèrent dans ceux de Mortimer, comme pour y trouver un indice de ce qu’elle devrait faire -sans trouver. Peut-être que si elle l’avait connu un peu, juste un peu, elle aurait pu deviner; mais elle ne le connaissait pas. Valait mieux dire quelque chose pour rompre son mutisme, cela valait mieux.

«Peut-être avez-vous quelques interrogations sur sa construction?» tenta-elle au hasard; et puis elle, ça lui ferait plaisir d’en parler, puisqu’il était rare de trouver quelqu’un intéressé… et qui pouvait, peut-être, comprendre certains termes de sa construction.

« Oh » fit simplement Skye, confuse au sujet de la mère de Mortimer. Elle n’insista pas; après tout il était logique de penser que la plupart des acteurs du milieu de soient pas connus, elle-même ne s’était même pas encore faire un nom dans le milieu, tout juste de quoi se dégotter un boulot chez Odyssey. Après, elle n’avait encore que vingt an; seul l’avenir pourrait dicter si elle s’en fera un, ou si elle restera la cosplayeuse un peu bizarre qui trainait dans les bureaux (avec ses pokémons mal dressés).

« En effet » acquiesce-t-elle dans une moue insatisfaite. « J’ai un peu trop pressé la création, comme je voulais la porter ce matin » échappa-t-elle. Venait-elle de lui avouer qu’elle avait fait un costume entier juste pour leur rencontre, une rencontre où il était, on se le rappelle, simplement censé regarder ce qu’elle avait dessiné pour vérifier que tout était en ordre? Mais ses croquis étaient depuis longtemps oubliés, le carnet délaissé sur la table à côté d’eux. L’un comme l’autre, dans leur folie passagère-pas-si-passagère-que-ça, avaient oublié le bon sens; surement qu’un collègue égaré qui arriverait sur place par erreur se demanderait ce qui se passait!

« Écoutez, si vous voulez enfiler la crinoline et me montrer comment on fait, je dirai pas non » plaisanta-t-elle en réponse à son expression taquine; manifestement ça le choquait qu’elle ne veuille pas s’asseoir, et à quelque part elle pouvait comprendre. À force de se tenir debout avec autant de tissus, elle commençait à avoir mal au dos et aux jambes, et la journée ne faisait que commencer. Comme on dit, d’un côté c’est beau être jeune, et de l’autre, faut souffrir pour son art, ou quelque chose du genre. Skye n’aimait pas souffrir, mais elle ne voulait pas avoir l’air d’une patate devant ce qui pouvait essentiellement se résumer à un idole.

Skye, qui n’allait pas s’arrêter là dans ses maigres, oui, maigres explication sur son costume, continua sur sa lancée; « J’aurais tant aimé pouvoir rencontrer un vrai Octillery pour mieux pouvoir choisir mes couleurs et le placement des ventouses. J’ai fait pas mal de recherches sur le net, mais c’est juste pas pareil! » avança-t-elle en lissant un plis invisible sur la jupe de sa robe. « C’est un peu étrange, sur toutes les photos que je voyais, je comptais jamais le même nombre de tentacules, j’étais plutôt étourdie à la fin. Je me suis fié au nom au final »

De quoi, c’était pas vraiment intéressant? C’était une drôle d’entrée en la matière; sa manière à elle de lui dire que s’il avait d’autres informations sur l’étrange pokémon, elle était toute ouïe. Elle se demandait s’il s’habillait ainsi parce qu’il aimait les pokémons de type eau, mais n’osait pas lui poser la question; certes, elle était plus jasante maintenant qu’elle parlait un peu de son costume, mais une gêne qui ne lui ressemblait pas l’empêchait de formuler ses questions.

« De l’entrainement… » oui, ça tombait sous le sens, un peu trop quand même : mais comment dire à quelqu’un que votre expérience féminine est limitée, sans le lui dire exactement? Ce serait de se vendre; Skye avait trop peur de l’éventuelle réaction qu’on pouvait avoir en apprenant son genre de naissance, valait mieux pas s’y arrêter, même si au fond au travail on savait très bien qu’elle était genderfluid, à force. Puis ça ne lui prendrait pas très longtemps, s’il allait sur les réseaux sociaux, pour s’en rendre compte, mais Skye vivait dans le maintenant, et maintenant elle avait pas envie d’en parler. Il lui était étrange de constater qu’au fond, elle ne faisait pas assez féminine pour une femme, mais qu’elle était définitivement trop efféminée pour un homme! Enfin; à en croire ceux qui médisaient.

« En vous, en avez-vous de l’entrainement? » dit-elle du bout des lèvres, peut-être un peu avec espoir; après tout s’il comptait le lui apprendre, peut-être que c’était parce qu’il savait. Mais voilà, on l’avait dit, ils étaient bien trop proches l’un de l’autre, et voilà que le gentleman se levait, l’obligeant, comme on peut l’imaginer du haut de sa petite taille, à relever le menton pour ne pas briser le contact visuel. « Ah oui, ça, pour l’avoir manipulé, je l’ai manipulé! » elle rit; elle porte encore les cicatrices laissées par l’aiguille mainte et mainte fois repiqués dans le tissus pour le plisser sur sa vingtaine de mètre de longueur. Mais ça avait porté ses fruits, sa robe pouffait de la plus merveilleuse des manières, et c’était vraiment tout ce qui lui importait.

Elle eut un mouvement de recul, léger, lorsqu’il se pencha pour attraper avec délicatesse sa jupe, c’est qu’il était bien trop près d’elle -et dans son mouvement, manqua s’enfarger dans la chaise mise derrière elle précédemment, et se retrouva plutôt le fessier dessus. L’air éberluée, elle cligna quelques fois des yeux; il avait encore les mains sur sa jupe quelques secondes plus tôt. L’air gênée, elle dit;

« Ah oui, aussi simple que ça »

Petite, ses pieds ne touchaient plus à terre; elle qui avait enlevé ses chaussures en entrant dans la pièce, voilà qu’on voyait ses bas-collants noires poindre sous la crinoline blanche. Elle se laissa glisser en bas de la chaise, et puis repris; mais manqua un peu de délicatesse, et laissa glisser sans faire exprès la jupe et son jupon de sous ses doigts. Il était difficile, en tout pour elle, de se saisir de toutes les épaisseurs de tissus avec la grâce que Mortimer lui avait soufflé d’avoir, mais en tout cas était-elle maintenant assise, les mains croisées sur sa jupe. Elle manquait peut-être de grâce, oui, mais elle était adorable dans son petit costume; les pieds ne touchant pas à terre lui donnant un air de gamine qui lui seyait bien.

« je vais devoir me pratiquer à la maison, je crois » avança-t-elle en plissant des yeux, tout sourire; « mais au fond j’aurais dû essayer au lieu de me convaincre que ce n’était pas possible »