Comment est-ce que Skye avait fini dans ce merdier? L’explication pourrait être longue, mais elle était en fait bien simple : la couturière était trop insouciante, et n’avait pas vu les red flags dans les messages que ses copin-e-s de l’école lui avait envoyés. Ce qu’elle pensait être une soirée de réunion pour papoter du bon vieux temps, quand ils étaient encore à l’école et qu’ils n’avaient pas à gérer le poids du travail -mais la vérité c’était que d’eux tous, Skye était la seule qui avait arrêté l’école à seize ans pour se mettre au boulot. Elle était fière de ces amis qui n’étaient vraiment plus que des connaissances, aussi c’était avec une excitation marquée qu’elle s’était préparée pour les rencontrer. Elle avait même mis son plus récent cosplay, un habit lolita représentant de manière plutôt libre un Mélodelfe. Les multiples étages de crinoline lui donnaient du courage, pour ainsi dire, et derrière sa longue perruque rose elle se sentait tellement adorable et femme. Ce courage, elle en avait besoin; tous ses souvenirs d’enfance n’étaient pas bons, et elle ne savait pas qui d’autre pourrait montrer son nez…

Mais bon, voilà, les choses ne s’étaient pas passées comme elle l’aurait cru. Elle était rentrée tout innocemment dans le bar, avec ses vêtements rose à dentelle te froufrou, et, étant arrivée un peu tôt, s’était installée au bar pour attendre ses copains patiemment. Skye n’aimait pas vraiment l’alcool, mais une fois n’était pas coutume… elle commanda un truc tout sucré, mais souvent ces drinks là sont en fait très forts en teneur d’alcool. Prudemment, elle le sirote une mini gorgée à la fois, payant le barman en ajoutant un petit tip parce que bon, elle avait beau être sur le seuil de la pauvreté, elle allait quand même bien pas ne pas le payer pour son service. Pour la peine il lui parla un peu, lui demandant bien ce qu’elle faisait ici.

Ce n’est vraiment qu’à ce moment là qu’elle remarqua quelque chose; alors d’abord, elle avait eu le temp de finir son drink, et elle ne voulait pas vraiment en commander un autre. Ses potes n’étaient pas arrivés, et l’heure de leur arrivée était pourtant passée! Inquiète, elle avait passé en revue les gens présents dans le bar. Déjà, pourquoi tout le monde portait une cagoule, là? Elle était à une réunion d’alcooliques très anonymes et vraiment pas sur la route de la rémission? Quelle drôle d’idée farfelue elle avait là… Non; et puis ceux qui ne portaient pas leur cagoule avaient l’air de s’être fait marchés dessus par la vie, un regard que vraiment elle avait côtoyé dans sa misère quotidienne. Et elle, la voilà, fraiche comme une fleur, qui papotait de tout et de rien avec un inconnu; autant dire qu’elle n,avait vraiment pas l’air d’être à sa place!

Elle était sur le point de carrément s’excuser de sa présence et de se faufiler hors du bar sans faire de bruit quand la vibration familière de son portable la déconcentra et, en bonne personne addict à son téléphone, elle le sorti d’un de ses poches cachées dans la jupe de son costume pour voir qu’elle avait reçu un texto; elle ne reconnaissait pas la personne qui l’avait envoyé, mais elle pensa tout de suite, évidemment, que c’était un de ses potes qui lui donnait des infos sur leur lieu de rendez-vous qu’elle avait dû manquer dans la conversation de groupe. Du coup elle remercia le barman et c’est avec un soupir de soulagement qu’elle se glissait vers le colosse. Entre lui et son Démolosse, elle se sentait petite, si fragile! Ah; un frisson la parcouru. On sait tous ce que Skye pense des grandes personnes musclées et intimidantes… (C.a.d. qu’elles doivent faire de bons câlins. Faut pas chercher à comprendre).

D’une toute petite voix, elle dit d’abord que ses amis l’attendaient à l’étage et, voyant que l’homme ne bougeait pas d’un centimètre, si ce n’était pour se pencher vers elle pour l’entendre malgré le brouhaha général, elle ajouta du bout des lèvres « Ah, oui. Qwilfish »

Et comme par magie, voilà qu’il se tassa pour la laisser passer. Elle se faufiler dans l’escalier qui menait à l’étage, et remarqua qu’elle n’était pas la seule à les grimper, d’ailleurs! Alors qu’elle s’était arrêtée au haut de l’escalier, regardant à gauche et à droite sans trop savoir par où aller, une femme assez imposante aux cheveux mauves l’intercepta, la menant avec trois autres personnes non pas vers sa réunion d’école mais vers une sortie de secours. Dès qu’elle commença à parler -et peut-être même un peu avant, pour être honnête- Skye eu vraiment l’impression qu’elle était au mauvais endroit, qu’on s’était trompé de personne. Est-ce que ses amis lui jouaient un tour très élaboré?

Pourtant non; tout avait l’air des plus sérieux. Skye aurait pu lever sa voix, expliquer qu’il y avait erreur sur la personne. Mais entre l’alcool qui lui embrumait l’esprit et la peur de se faire tabasser pour qu’elle garde ce qui était manifestement un secret, elle préféra ne rien dire, tout simplement. Jouer le jeu, se joindre au petit groupe… et puis, elle n’avait franchement ni Odyssey ni la police dans le cœur, alors ça ne lui ferait pas de mal de se joindre au petit groupe de délinquants. Distraire la police? C’était assez simple, non? Par contre fallait définitivement pas que ça se sache; après tout, Odyssey restait son employeur, et Skye aimait faire de l’argent! Ah; elle n’aimait simplement pas leur monopole sur la distribution de pokémon, et les abus que ça pouvait entrainer. Elle pensait à tous ces pokémons qui arrivaient chez de nouveaux dresseurs malades ou très craintifs envers les humains, et c’était suffisant pour voir que le systême avait un problème. Sans parler des fameux combats de pokémon… non, plus elle y pensait, plus elle se pompait et se convainquait qu’au fond, elle voulait faire tout ça.

Ouais, l’alcool la rendait complètement stupide.

« Pokémon? » murmura-t-elle, surprise; ne pensant pas là qu’il s’agissait probablement de castagne, elle cru bien vite que les pokémons suffiraient à faire de la distractions et du grabuge! Elle frôla de ses doigts l’unique pokéball à sa ceinture. La seule qui avait voulu sortir à cette heure, c’était Kitty, sa petite Skitty qui était particulièrement petite pour son espèce, et Skye qui croyait dur comme fer que c’était parce qu’elle était un bébé, tout simplement. Clairement elle n’allait pas l’utiliser en combat! Skye aimait trop ses pokémons pour les laisser se faire blesser. Puis ne parlons pas des attaques que Skitty avaient d’apprises, c’est pas à coup de mimi-queue et de rugissement qu’elle allait gagner un combat, hein!

« J’ai ma Skitty avec moi » dit-elle un peu dans le vide; personne ne lui avait posé la question, après tout. « Eum, si vous voulez de la distraction, je joue parfaitement le rôle de la princesse en détresse » ajouta-t-elle, sans dire souvent parce que je suis vraiment en détresse. Après tout, elle se faisait souvent taxer dans les rues du quartier quand elle sortait faire des photo shoots un peu trop tard le soir. Elle avait toute l’assurance de la personne qui n’était pas à sa place mais qui ne comprenait pas à quel point elle était dans la merde. Merci innocence, merci petit cocktail sucré. Un bon mélange…

Skye sursauta presque d’entendre son nom; ah, elle qui espérait garder l’anonymat derrière sa perruque et ses verres de contact… elle leva les yeux, encore et encore, jusqu’à tomber sur le visage à découvert de nulle autre que Guadalupe! Remarquez, cette dernière ne se cachait pas un iota; à la limite la couturière aurait capté qu’elle était là si elle n’était pas aussi occupée à exister. Oui oui, exister. Elle n’était pourtant même pas si saoule que ça (enfin si, un peu), mais voilà, Skye n’était pas nécessairement une lumière dans la meilleure des circonstances, alors en ce moment, tard le soir après un verre d’alcool qu’elle ne buvait pourtant habituellement jamais, fallait pas trop lui en demander. À la limite la dame aux cheveux violets avait demandé qui voulait marcher jusqu’au poste de police en premier et Skye s’y serait rendue seule sans même avoir de plan si ça n’avait été de cette chère Guadalupe qui, elle, semblait avoir deux neurones fonctionnels. De facto elle sembla devenir le leader pensant de cette opération (enfin, avec la dame aux cheveux mauves, mais à deux elles pouvaient se donner des idées, c’était bien ça).

Skye de son côté, gonflait ses joues comme une gamine prise en faute; « Dit pas mon nom LupeEeEe » protesta-t-elle sans se rendre compte qu’elle donnait (partiellement) celle de l’autre femme. « je suis totalement incognito dans mon beau cosplay, comment tu m’as reconnu? » fit-elle ensuite, prouvant là à quelle point elle pouvait être atteinte; après tout elle était une gamine du quartier, pour le meilleur et pour le pire (surtout le pire), et il aurait été plus surprenant qu’elle ne se fasse pas reconnaitre que l’inverse. Des adultes qui se promenaient en peudo-costume de pokémon, y’en tombait pas des nues dans le coin non plus…

« Gentiment, gentiment… je suis toujours gentille, moi » protesta-t-elle sans comprendre que le commentaire n’était pas nécessaire pour elle; elle glissa doucement sa main dans celle de la dite mamie, sérieusement vraiment plus pour se tenir droite que pour l’aider à marcher (mamie, elle, avait sa canne après tout). « Venez madame » dit-elle d’un ton enjoué, « on va les épatés ces officiers de police, ils croiront pas ça! » et sans plus attendre, Skye la tira doucement, tout doucement vers le poste de police, se faisait tout un cinéma dans sa tête. La dame aux cheveux mauves l’avant bien dit, hein; qu’il était encore temps de reculer… mais allez savoir, de savoir que Guadalupe était juste derrière eux, ça lui donnait un courage fou! Oui oui, même si elle ne la connaissait pas beaucoup; la dame avait juste une aura de grande sœur, que voulez-vous.

Ce n’est qu’arrivé devant la porte du poste de police que l’anxiété la gagna réellement; en partie parce qu’elle savait qu’elle y allait pour faire quelque chose de mal (l’obstruction de la justice, en quelque sorte), mais surtout parce que la police du quartier n’avait vraiment pas bonne réputation. Entre les officiers qui étaient eux-mêmes les pires criminels du coup, ceux qui ne se faisait pas violence pour vous venir en aide et le manque total de crédibilité dans la place, l’opinion de Skye envers la police était mauvaise, très mauvaise. Ça n’aidait pas que ses p’tits bullies du lycée étaient devenus à leur tour officiers dans la police du quartier, et que dire des longues soirées passées au poste à tenter de porter plainte pour un nez cassé et des bleus? Skye était une enfant du quartier, certes, mais suffisait d’être un peu plus faible que les autres, parfois, pour être une victime facile.

Heureusement pour elle qu’elle avait son cher papounet, Marshal, pour la protéger maintenant.

Mais bref, tout ça pour dire qu’à deux pas de la porte, elle se mit à trembler. Un pas de plus et elle avait l’impression de ne plus savoir comment respirer. On pousse la porte, et tout juste installé de le lobby du poste de police, la voilà qui se fond dans un sanglot ou deux qui donna beaucoup de crédibilité à leur opération. Si seulement elle le faisait exprès, hein… mais ça, mamie ne pouvait pas le savoir, et c’était aussi bien! Ça en ferait au moins une des deux qui pourraient tenter d’expliquer à la police ce qu’elles faisaient ici….

Dans quel merdier elle s’était mise encore? Voilà que mamie attaquait verbalement les policiers, et un d’eux s’en trouva apparemment motivé parce qu’il était venu vers eux et leur avait proposées de s’installer pour parler. C’était déjà beaucoup mieux que la plupart des fois où elle avait dû croiser un poste de police, mais elle se doutait que si on venait, même pour une seconde, douter de son genre, le policier allait changer de refrain très, mais très vite. Et vous direz qu’habillé et arrangé de la sorte, y’avait pas de chance qu’on se méprenne -et vous avez raison, mais elle savait que dès qu’elle ouvrirait la bouche pour parler, cela pourrait changer. Ne parlons pas d’à quel point elle pouvait complexer, parfois, sur sa voix; et pourtant elle était un bon mélange de neutre qui la rendait heureusement versatile, sa voix. Mais allez savoir, ça la terrorisait complètement, elle qui pourtant était très courageuse, au final. Pas le choix pour vivre une vie authentique.

Elle se laissa mener vers une chaise telle une poupée de chiffon; jolie mais sans volonté propre. Mais entre son anxiété qui était très élevée et la réalisation subite qu’elle devait trouver de quoi baratiner, Skye n’en menait pas large, il fallait le lire. Elle n’arrivait pas à aligner deux pensées cohérentes, prise dans un cycle toxique de souvenirs anxiogènes et de projection dramatique vers le pire, toutes des créations de son cerveau dopé à la peur. Que faisait-elle? Et ne parlons pas de ce vilain alcool qui venait tout embrouiller…

Skye, sans s’en rendre compte, hyperventilait. Elle inspirait de l’air comme si elle était un aspirateur, s’asséchait la bouche sans s’en préoccuper. Et pourtant, autant elle accumulait l’air dans ses poumons, jamais ce n’était assez, il semblerait. Elle manquait d’air, sa tête tournait, son corps se faisait lourd et sa tête légère. Ah! On a dû lui demander si elle allait bien, si on pouvait faire quelque chose pour elle, et voilà que son estomac se retournait. Le haut-le cœur qu’elle ressenti la força à serrer ses bras contre son corps, à se pencher légèrement vers l’avant. Que dire, que lui dire, quelque chose, n’importe quoi! Ah; mais les mots restèrent prisonniers de sa gorge, et aucun son ne quitta ses lèvres si ce n’était le sifflement irrégulier de sa respiration laborieuse.

Pire; voilà que son torse se tordait de douleur, ses mains devinrent moites, elle avait l’impression d’étouffer, de ne pas être capable de respirer, du tout, de tout. Sa tête commençait d’ailleurs à tourner, ou étaient-ce les murs qui-

Un bruit sourd fait echo alors que le corps de Skye glisse de la chaise et qu’elle tombe, momentanément inconsciente, contre le sol du poste de police.